Radio et cinéma

La radio remplit plusieurs fonctions dans la société québécoise au cours de la période s’étirant des années 1930 aux années 1950. Elle sert d’abord à promouvoir la langue française à travers la province. Elle facilite également le développement d’un star-sytem proprement québécois, que le cinéma et la télévision mettront bientôt à contribution. Elle tend aussi à unir et homogénéiser le peuple canadien-français, en faisant entrer la culture et les divertissements des grandes villes chez les habitants de la campagne, et en donnant une voix aux représentants des régions. Dès lors, les Québécois d’un bout à l’autre de la province partageront un certain nombre de références et de préoccupations : ainsi, de Montréal à Gaspé, on s’inquiète pour le sort de la pauvre Donalda, persécutée par l’avare Séraphin dans Un homme et son péché, populaire radioroman diffusé par Radio-Canada dès 1939.

Percée de la radio
Au Canada les postes de radio obtiennent une licence pour une fréquence d’ondes précise uniquement à partir de 1929. De 1931 à 1941, le pourcentage de foyers canadiens-français possédant une radio passe de 37,5 % à 70,6 %, pour atteindre 88 % six ans plus tard. Au début des années 1940, on retrouve au Québec 16 stations radiophoniques, dont 14 diffusant en français, ce qui offre un large marché aux créateurs de la province.

Du radioroman au cinéma
C’est en 1935 que l’écrivain Robert Choquette crée pour CKAC le premier radioroman, Le curé de village. Le grand succès de cette série lance ce phénomène littéraire typiquement québécois dont on peut encore aujourd’hui observer l’influence dans les téléromans diffusés par la télévision québécoise. Peu de temps après son entrée en ondes en 1936, Radio-Canada s’y met aussi, notamment avec La pension Velder (Robert Choquette, 1938), Vie de famille (Henry Deyglun, 1938) et Un homme et son péché (Claude-Henri Grignon, 1939). Le radioroman atteint son apogée au cours des années 1940, avant l’arrivée de la télévision.

Les radioromans constituent une des principales sources d’inspiration du cinéma québécois de la seconde moitié des années 1940. En plus de recycler certaines histoires d’abord développées à la radio (Un homme et son péché, Le curé de village), le cinéma se trouve imprégné de l’esthétique et des archétypes véhiculés par le radioroman.

Un star-system canadien-français
La radio contribue par ailleurs à l’essor d’un véritable star-system canadien-français. On reconnaît ainsi partout à travers la province Hector Charland, qui interprète Séraphin à la radio, puis dans les deux films tirés du radioroman de Grignon, Un homme et son péché et Séraphin. Ovila Légaré se fait quant à lui connaître dans Le curé de village, dans lequel il interprète le rôle-titre à la radio comme au grand écran. Jeanne Demons connaît elle aussi beaucoup de succès à la radio dans les textes de Henri Deyglun avant de devenir l’interprète du film Cœur de Maman, également écrit par Deyglun. Gratien Gélinas fait également ses débuts à la radio, à la station CKAC en 1937, avant de passer à la scène et au cinéma.

Henri Letondal demeure toutefois le meilleur représentant d’une « radio visuelle ». Comédien, chanteur et scripteur pour la station CKAC, il participe à la création de dizaines de pièces radiophoniques, dont certaines, tel Meurtre au studio ou La Photo révélatrice, exploitent diverses formules développées par le cinéma populaire. Letondal devient bientôt une vedette du théâtre et du cinéma.

En 1947, Guy Mauffette et Jacques Normand lancent La parade de la chansonnette (CKVL) pour relancer la chanson française au Québec. L’année suivante Jacques Normand reçoit les mêmes vedettes de la chanson au cabaret « Le faisan doré ». Toutes ces rencontres vont mener à la réalisation du film Les Lumières de ma ville, qui met en vedette plusieurs personnalités bien connues pour leur travail à la radio, dont Guy Mauffette, Monique Leyrac, Paul Berval et Albert Duquesne.

Le star-system canadien-français se trouve renforcé par l’édition de magazines dédiés au monde de la radio. Un journal populaire comme RadioMonde vante nos vedettes du cinéma, autant que les émissions de radio qui les faisaient connaître. Plusieurs journaux, dont La Patrie, Le Petit Journal et le Photo Journal consacrent également des chroniques au monde de la radio.

L’engouement du public québécois pour les vedettes de la radio incite par ailleurs les propriétaires de cinéma à collaborer aux activités de certaines stations de radio. Les Montréalais peuvent ainsi régulièrement assister à la diffusion d’émissions de radio en direct du théâtre St-Denis ou des salles Odeon.

Notons enfin que c’est pour soutenir ce star-system naissant que le chanteur René Bertrand organise la Fédération des artistes de la radio en 1937. Ce syndicat deviendra l’Union des artistes lyriques et dramatiques en septembre 1942, puis simplement Union des artistes en 1952.

Duplessis et la radio
À la suite de l’entrée du Canada en guerre en septembre 1939, le gouvernement fédéral soumet les stations de radio du pays à la censure. À l’instar de l’Office national du film, également créée en 1939, cette initiative du gouvernement fédéral est mal perçue par le premier ministre québécois de l’époque, Maurice Duplessis, qui y voit une autre ingérence du gouvernement fédéral dans les affaires de la province. L’Institut canadien des affaires publiques créé par le fédéral en 1954 irrite également Duplessis. C’est que les Conférences annuelles de l’ICAP diffusées par la radio de Radio-Canada manifestent souvent une forme de contestation du conservatisme de Duplessis. Ce dernier prend également en grippe certaines stations de radio privées ayant pris parti pour les ouvriers lors de conflits de travail. Pour contrebalancer l’influence du gouvernement fédéral et des diffuseurs privés, le gouvernement Duplessis adopte en 1945 une loi autorisant la création d’un service provincial de radiodiffusion, l’Office de la radio du Québec.