Les circuits 16 mm

Origines
Même si des projectionnistes ambulants utilisent le nouveau format 16 mm dès le milieu des années 1920, la diffusion de films en 16 mm ne s’organise qu’en 1935 avec la création à Ottawa d’une fédération de ciné-clubs, la National Film Society. Cette dernière deviendra en 1950 le Canadian Film Institute/L’Institut canadien du film.

Distribution
C’est également en 1935 que les grands producteurs américains se lancent dans la distribution en format 16 mm de certains de leurs films. À partir de 1942, trois compagnies se partagent la distribution de leurs films en format 16 mm au Canada : France-Film, General Films et Sovereign Films, une compagnie basée en Alberta. À compter de 1946, ces distributeurs offrent également des versions doublées en français.

Un petit distributeur, J.A. Lapointe Films réussit par ailleurs à se tailler une place à côté des grands. Fondée en 1949 par J.A. Lapointe et son épouse Marguerite, cette entreprise agit comme intermédiaire entre les distributeurs de films 16 mm et les écoles et organisations paroissiales qui souhaitent présenter des films. Lapointe profite de l’émergence des ciné-clubs au tournant des années 1950. Il distribue tant les œuvres des grands auteurs du cinéma mondial (dont Kurosawa, Kobayashi, Tati et Bresson), que des titres plus commerciaux édités par les grandes compagnies américaines. Lapointe fait un effort particulier pour offrir aux spectateurs québécois des versions originales avec sous-titres en français.

La diffusion par les circuits religieux
Au Québec, la diffusion du film 16 mm est principalement le fait des religieux et religieuses, actifs dans le milieu de l’éducation. Même si elles sont parfois équipées pour la projection de films 35 mm, les nombreuses salles scolaires et communautaires du Québec gérées par les communautés religieuses utilisent le plus souvent le format 16 mm durant les années 1940-1960. Plusieurs collèges, couvents et paroisses s’approvisionnent en films auprès de France-Film. Cette dernière a en effet acquis en 1939 les droits de distribution sur support 16 mm de plusieurs films de son catalogue, dont elle fait tirer des copies dans les laboratoires de l’Associated Screen News.

Plusieurs curés de village s’avèrent par ailleurs être des hommes d’affaires astucieux. Certains découvrent par exemple qu’ils peuvent récupérer une partie des frais de location de France-Film qui s’élèvent à 25 $ en sous-louant le film à un village voisin pour 10 $ avant de le réexpédier à Montréal par la poste. Une bonne partie de leurs recettes se transforme ainsi en profits.

De nombreux propriétaires des salles commerciales considèrent cependant ces projections 16 mm comme une forme de concurrence déloyale. Dans certaines petites villes, le propriétaire du cinéma local tente parfois de soudoyer le curé de la paroisse en lui promettant des films édifiants ou des ristournes pour l’Église. À Cabano, on assiste à une lutte féroce entre la « Salle de monsieur le Curé », l’abbé Cyr, et le Théâtre Royal de Robert « Robby » Breton. L’Abbé Cyr réussira malgré tout à tirer son épingle du jeu et à offrir des projections très dynamiques à ses fidèles de 1922 à 1962.

En 1945, l’association professionnelle des exploitants de salles commerciales du Québec, la Quebec Allied Theatrical Industries, vote une résolution demandant au gouvernement provincial d’interdire les projections publiques de films en 16 mm dans un rayon de 10 miles autour des salles commerciales. Ce dernier ne donnera pas suite à la requête des exploitants. Le gouvernement fédéral impose toutefois une taxe d’accise sur les projections 16 mm en 1947.

Les circuits gouvernementaux
Les gouvernements investissent également dans la diffusion de films en format 16 mm. Ainsi l’Office national du film fait très bien fonctionner son réseau de diffusion entre 1945 et 1955. Les employés de l’ONF sillonnent le Québec avec treize camionnettes équipées de matériel de projection. À cette entreprise de diffusion rappelant le travail des premiers projectionnistes ambulants s’ajoute un important réseau de filmothèques supportées par l’ONF.

L’État québécois crée de son côté le Service de ciné-photographie en 1941. Celui-ci utilise principalement le format 16 mm dans ses activités de promotion du cinéma éducatif. L’Office du tourisme et de publicité du Québec fait par ailleurs un travail similaire depuis l’époque du cinéma muet. En 1947, une Cinémathèque municipale, rattachée à la Bibliothèque de la Ville de Montréal est créée. Elle met à la disposition de tous une grande collection de films 16 mm, dont des films pour enfants et plusieurs classiques fort utiles aux professeurs de cinéma. À une époque où les enfants ne peuvent toujours pas assister aux projections des salles commerciales, ces initiatives élargissent de façon significative la diffusion du cinéma.

La censure du 16 mm
Même si le format 16 mm existe au Québec depuis les années 1920, le Bureau de censure ne s’intéresse pas à ces films. C’est ainsi que les copies 16 mm, que l’on appelle parfois « miniatures », contiennent parfois des scènes ayant été coupées des copies 35 mm destinées aux salles commerciales. Ce n’est qu’en 1947 que le gouvernement de Duplessis fait passer une loi imposant la censure des films 16 mm. Les motifs de Duplessis et de ses sbires semblent autant moraux que politiques. Duplessis souhaite en effet entraver par cette mesure la diffusion des films de l’ONF, qu’il accuse de tendances communistes et centralisatrices.

L’arrivée de la télévision
Quelques salles de cinéma commerciales utilisent le 16 mm à partir du milieu des années 1940. Le format gagnera particulièrement en popularité auprès des salles qui proposent des programmations de style ciné-club dans les années 1960. Dans les années 1950, la télévision naissante va aussi utiliser massivement le 16 mm, aussi bien pour les actualités que pour la présentation de films.

La fin, ou presque, des projections régulières en 16 mm dans les salles paroissiales, surtout en région, survient le 6 août 1965, quand le Parlement québécois vote une nouvelle « Loi des fabriques » stipulant que les paroisses ne peuvent plus offrir, même sans but lucratif, des loisirs (cinéma, salles de quilles) comme elles l’ont fait depuis des décennies.